Interpréter les espaces de la Place du Couvent

En 2012, la mairie de Villamanrique aborda la rénovation complète de l’historique Plaza del Convento selon l’idée originale présentée par l’Association Delta de Maya. Ce projet fut voté à la majorité par les citoyens qui assistèrent à la réunion du Conseil consultatif municipal à laquelle tous les habitants furent convoqués en février de cette année-là. (Cliquez ici pour découvrir la transformation de la place). Aujourd’hui, la nouvelle Plaza del Convento de Villamanrique a récupéré l’amplitude qu’elle avait toujours eue dans le passé, et son esthétique actuelle, riche en céramiques fabriquées à la main, est en consonance avec les lignes du modernisme du début du XXe siècle. Anibal Gonzalez et l’architecte français Forestier conçurent en effet, suivant ce courant, le parc Maria Luisa de Séville. La maison d’Orléans demanda également à ce dernier de concevoir les jardins de son palais de Villamanrique. Les motifs ornementaux de la Plaza del Convento sont inspirés par certains des aspects les plus remarquables de l’histoire et de la mythologie de Villamanrique dans le contexte géographique et culturel de Doñana.

L'ensemble du Guadiamar

Quand nous cheminons vers la Plaza del Convento depuis l’église, nous découvrons une perspective qui suit la ligne de la rue et nous conduit jusqu’à la gloriette de la Virgen del Rocío.

Les fers de la pergola, encore dépourvus d’une végétation qui formera un jour un tunnel d’ombre, nous aident à signaler le point de fuite. En nous approchant, nous percevons le murmure d’une fontaine, au ras du sol, qui s’élève d’à peine un coude pour retomber doucement dans une petite vasque ronde. De là, la vue remonte le cours d’un petit canal où l’eau, venant des pieds de la Vierge, s’écoule vers nous. À notre gauche, un banc allongé offre un premier siège. Ce banc mesure sept mètres, comme le canal, et comme lui, il est recouvert de céramique bleue et blanche.

Les azulejos du banc, peints à la main, illustrent la vie animal et végétale du Guadiamar, cette belle rivière couverte de feuillage formant une forêt galerie qui, telle une frontière, reçoit le marcheur qui vient d’Aznalcazar et se dirige vers Villamanrique. Cette rivière, véritable tunnel de verdure avec son célèbre gué du Quemas où le pèlerin néophyte reçoit le baptême “rociero”, est représentée sur notre place par cet ensemble. À peine assis, notre regard, attiré par l’image dorée de la Reine des Marais, peut prendre le temps de s’y reposer.

La gloriette de la Vierge d’El Rocío

La gloriette

La gloriette

La gloriette vue de dos

La gloriette vue de dos

Elle est à notre gauche, flottant subtilement parmi le feuillage d’un arbre où des oiseaux, dans le silence immobile et éternel des peintures, lui chantent des messages indéchiffrables. Autour du tronc s’élève un serpent qui nous rappelle que la Vierge est, comme Ève, immaculée. Entourant la niche, des versets de l’Apocalypse de Saint-Jean confirment l’identité de cette image représentée :

Un signe grandiose apparut au ciel : c’est une Femme ! Le soleil l’enveloppe, la lune est sous ses pieds et douze étoiles couronnent sa tête. (Apocalypse 12 :1)

Douze étoiles et un soleil incrustés dans le mur brillent, reflétant une lumière aux tons dorés irisés formant un demi-cercle.

Sous l’arbre et au loin trois juments rocinas semblent paître, laissant leurs silhouettes se refléter dans les eaux de La Madre, tandis que l’étalon, acebrón ou rocín, les regarde, calme et attentif.

À hauteur du ventre de la Vierge, brodée sur sa robe, une grenade ouverte fait allusion à une image de culte importante dans la région de Doñana : la Vierge de la Grenade. Nous la retrouvons en effet non seulement à La Puebla, Moguer ou La Rabida, mais aussi à Villamanrique où elle aboutit après le dépeuplement du village de Quemas et où, jusqu’à il y a quelques années, elle était menée en procession avec Saint Roch.

Au pied de l’arbre, la fontaine, le petit puits, d’où émanent toujours les eaux miraculeuses et où les marcheurs aspirent à étancher la soif de l’âme. De la bouche ouverte d’un vieux poisson aux formes mythologiques, sort un jet d’eau qui tombe et éclabousse l’un des joyaux de la place, une coquille Saint-Jacques ou de Vénus – évocation de la porte du sanctuaire d’El Rocío – sculptée dans un magnifique bloc de marbre de Macael. La pièce est magnifique, digne d’un palais mauresque. Sur le sol est peinte une inscription : Rocío Km 0. Maintenant, nous savons, si nous sommes en route vers le village d’El Rocío, que Villamanrique est le point de départ, et, qu’avec notre marche, jusqu’à présent, nous n’avons fait qu’arriver là où tout commence.

Si nous contournons la gloriette par la gauche, nous identifierons rapidement le symbole qui s’y trouve derrière : sept marches illuminées depuis le ciel attendent l’arrivée des charrettes. Une pluie de spirales dorées descend doucement sur les marches en tournoyant. Nous avons voulu ici recueillir une légende déjà oubliée, mais qui se conserve encore dans les légendes du folklore asturien. On raconte que, lorsque tombe la rosée pendant les nuits de pleine lune de mai et de juin, certains esprits subtils appelés « Ventolinos » descendent, comme de la poussière d’or, se poser sur les gouttes de rosée.

En face des escaliers peints, un parterre circulaire accueille une plante bien connue de tous dont le nom évoque Notre Dame : la dama de noche (litt. la dame de nuit – Cestrum nocturnum). Quand elle fleurit, son doux parfum enivre celui qui, contemplatif, s’abandonne, somnolent, lors des chaudes nuits estivales, rafraîchi par le murmure de l’eau.

Une place divisée en quatre quarts plus un cinquième élément

Toujours assis sur le banc du Guadiamar, le regard parcourt l’espace qui s’ouvre devant lui. De l’autre côté de la rivière (le petit filet d’eau qui s’écoule à nos pieds), un champ doré s’étend jusqu’au bout de la place, encadré de brèves notes de couleur vive. Suivant le périmètre, se dressent par-ci par-là, les troncs minces des jeunes arbres, des frênes, des orangers, des micocouliers et un grenadier. Nous traversons le Guadiamar, abandonnant ses ombres, et nous déambulons lentement en contemplant tout cela. Nos pas ne rencontrent pas d’obstacle, l’espace est dégagé, les éléments sont aux abords : ici un banc bleu, là deux rouges, un peu plus loin, il y en a un vert et en face de lui, deux bancs jaunes. Tout est léger, comme dépourvu d’intention. Pourtant la réalité est tout autre. Subtilement chiffrés dans les différents éléments de la place, dans les dessins qui la décorent, nous pourrions lire des symboles qui nous racontent les légendes, la plupart oubliées et d’autres à se remémorer, d’une terre et de ses gens, qui attendent peut-être le moment de pouvoir enfin raviver l’héritage qu’ils préservent depuis longtemps sous un voile de silence.

La place a quatre coins, quatre coins et une parole.

Avez-vous déjà eu en mains un jeu de carte espagnol, une baraja ? Il a quatre couleurs : ors, coupes, épées et bâtons. Les jeux de cartes sont très anciens et, comme d’autres jeux, ils contiennent une symbolique riche et intéressante. Leurs quatre couleurs représentent les quatre coins du carré, carré qui est à son tour le symbole du monde phénoménique, celui qui nous entoure, celui que nous croyons tous partager et que nous appelons réalité. Mais les cartes ont pour mission de nous montrer que ce que nous appelons réalité est moins réel que ce que nous ne croyons ou, tout du moins, qu’elle ne montre pas tout ce qu’il y a dans le monde, loin de là. Dans ces quatre coins, à travers les quatre éléments qui configurent la matière : terre, eau, air et feu, sont chiffrées les quatre portes qui, une fois ouvertes par le jeu, pourraient nous conduire… au-delà des frontières.

Esquinita 1

Les bancs verts et bleus

Esquinita 2

Les bancs jaunes et rouges

Terre des ors

L’or symbolise la terre, ainsi que l’attachement aux biens de la terre. Nous consacrons presque tous la plus grande partie de notre énergie à essayer de résoudre notre survie et celle des nôtres ainsi qu’à garantir la subsistance du lendemain. C’est pour ça que celui qui le peut économise, accumule ce qu’il a en trop. Et celui qui ne peut pas rêve que la chance lui sourira au jeu et lui concèdera la récompense qu’il croit mériter. Un trésor. Villamanrique, également, comme tant d’autres endroits, a son trésor caché ; beaucoup en rêvent et parfois le cherchent. Jusqu’il y a peu, les grands-mères racontaient à leurs petits-enfants que, pas loin de Villamanrique, près de Chillas, à quelques pas d’un très vieil arbre appelé Encina Gallinera (litt. chêne poulailler) se trouvait une étrange pierre. Celui qui trouvait la pierre, la levait et creusait en dessous, découvrirait un trésor de monnaies d’or emballé dans une peau de taureau. Personne ne l’a trouvé jusqu’à présent, que nous sachions, peut-être parce que personne ne se sait plus de quel chêne il s’agit ou s’il existe encore.

L’or est également la couleur d’un temps passé, l’Âge d’Or, le paradis terrestre. Souvent, nous aspirons retrouver ce paradis où nous ne devions pas nous battre pour la survie et où les conflits n’existaient pas. Il convient de savoir que cette situation est préalable à l’apparition de la conscience duelle, précisément celle qui, après avoir mordu le fruit de l’arbre de la science, nous a donné la capacité de raisonner et surtout, la conscience du libre arbitre. Ce n’est donc pas dans la simplicité du passé que se trouverait la solution aux difficultés qui nous affligent, mais dans le développement en nous d’une capacité de conscience plus riche et plus complexe, allant au-delà du dualisme.

Sur les bancs jaunes, nous pouvons voir l’as des ors et sur les azulejos latéraux une oie qui, couchée sur l’herbe, nous rappelle que nous sommes dans le coin de la place consacré à la terre comme élément. Derrière les bancs, il y a un petit jardin où grandissent des plantes aromatiques de Doñana, des palmiers nains et des aubépines monogynes. Au centre, se dresse un grenadier, suggérant que ce fut peut-être lui l’arbre du paradis et pas un pommier, car dans la Genèse, on ne spécifie pas l’espèce.

Une personne pourrait survivre un mois sans ingérer d’aliments solides.

Une coupe d’eau… vive

Le rouge est la couleur des coupes dans la baraja et la coupe symbolise l’eau, le fluide. Si nous regardons attentivement la coupe classique du jeu de cartes, outre le fait qu’elle est couverte, nous verrons que sa forme se compose de deux triangles unis par leurs côtés : l’un dont la base est tournée vers le bas et qui est vide, qui agit comme une caverne d’où jaillissent les eaux souterraines ; et l’autre triangle, la coupe qui, pointant vers le bas, s’ouvre au ciel pour recevoir les eaux qui doivent tomber. C’est la rencontre de l’air et de la terre. C’est pour cela qu’il y a dans ce coin de la place, une fontaine avec un jet d’eau qui s’élance vers le ciel remplissant tout l’espace de son crépitement, pour retomber dans un grand bassin sommaire qui reçoit également les eaux de pluie et les rosées. On trouve ainsi en cet endroit, au milieu de la coupe, des eaux de différentes provenances qui portent les mémoires du monde. Les unes viennent de l’intérieur de la terre, et elles sont parfois là depuis le début, et les autres se condensent dans l’air après être passées par les cellules de millions d’organismes vivants pour retomber et nourrir les plantes, les rivières et les mers recueillant leurs enseignements. Car l’eau a la qualité de pouvoir servir, tel un cristal, d’accumulateur de messages.

Les bancs rouges qui entourent la fontaine ont pour motifs décoratifs le valet de coupes et une jeune femme vêtue d’un tablier rociero offrant une coupe de vin au marcheur qui arrive, cherchant un siège où se reposer. Cette scène veut exprimer en outre l’hospitalité qui caractérise les habitants de Villamanrique, toujours attentifs au pèlerin qui passe. L’image de la jeune femme est entourée d’oies qui nagent sur l’eau.

Une personne ne survivrait pas plus de trois ou quatre jours sans eau.

Un chevalier portant une épée droite

De l’autre côté de la place, sous une pergola qui un jour – bientôt espérons-le – sera couverte de plantes grimpantes, il y a un banc bleu. Au milieu de ce banc, un chevalier de Saint-Jacques, de ceux qui, sous le commandement de Pelayo Correa, conquirent Mures au temps d’Alphonse X de Castille. Il exhibe sur le torse la croix de son ordre et lève l’épée près de son épaule. Il représente la carte du cheval d’épées qui symbolise le chevalier ou cabaliste, connaisseur de l’art de la Kabalah, rappelant le centaure Chiron. En réalité, l’épée de cette couleur ne représente pas l’arme, mais la croix, le fléau de la balance qui équilibre.

Le bleu est la couleur de l’air, de l’atmosphère, du ciel. Dans l’air circulent le son des mots, le chant des oiseaux, le rugissement des orages, et aussi le bruit imperceptible des pas d’une fourmi. C’est pour cela qu’il symbolise la voix, la communication et l’art. L’air est un fluide plus léger que l’eau, dont nous oublions l’existence mais dont nous dépendons strictement pour vivre et que nous partageons avec tous les êtres vivants de la planète. Autrement dit, à travers l’air, nous sommes tous connectés à tous, nous respirons tous les uns et les autres et nous portons jusqu’à nos cellules, mélangées à l’oxygène, une multitude d’autres substances et de mémoires qui, une fois transmuées nourriront différents centres de notre biologie, dense ou subtile.

Sur un mat, une image féminine tient deux oiseaux qui volent en tournoyant dans le vent. À sa taille pendent des rubans de satin aux couleurs de l’arc-en-ciel. C’est l’ancienne déesse Astarté, représentée par un artiste tartessien, il y a très longtemps. Cette image est une reproduction, à beaucoup plus grande échelle que l’originale, d’une pièce de bronze qui se trouve au Musée archéologique de Séville [1]. Elle fut découverte par le professeur d’archéologie Juan de Mata Carriazo dans une brocante de la calle Feria de Séville, dans les années cinquante du XXe siècle. Il semblerait que la personne qui la lui ait vendu soit une femme de Villamanrique et telle serait également sa provenance. Cette pièce est considérée comme l’un des plus précieux témoignages de la culture tartessienne. Par terre, le mat qui la soutient part du centre d’une étoile à huit branches, une rose des vents, qui indique de manière géométriquement exacte l’orientation nord-sud de la place.

Une personne ne survivrait pas plus de quatre ou cinq minutes sans air.

Le bâton que porte le roi est un sceptre fleuri

Après le banc de l’air, nous arrivons au banc consacré à l’élément feu. Ce banc est vert, comme il se doit pour la carte du roi de bâtons. Ce symbole présente un roi assis sur son trône tenant un bâton. Le mystère de ce bâton tient au fait qu’après avoir été coupé et être mort, pour une raison quelconque, il a recommencé à fleurir, il a ressuscité.

Dans les légendes apocryphes du christianisme, on mentionne la visite, à l’enfant Jésus, des rois mages qui lui apportèrent chacun un cadeau symbolique de l’enseignement que chacun incarnait. Dans notre baraja, nous avons faire référence au roi Melchior parce que tous les indices semblent indiquer que son lieu d’origine aurait été le règne de Thartessos, Tharis, tel que l’appelle la Bible. N’oublions pas qu’il y a deux ans, le pape Bénédicte XVI révélait la provenance tartessienne de ces personnages. Nous savons cependant que des trois, seul Melchior partit d’ici. Il convient de mentionner – rapidement en passant – que Melchior est la même figure historique – une institution, en réalité – que celle de Melkart, Hercule ou Melchisédech. Et que cette figure était intimement unie aux mythes associés par les Grecs, les Hébreux ou les Égyptiens au lointain Occident, l’endroit où se cache le soleil. Notre terre de Doñana.

Face au banc et dans le même cadran, nous trouvons sur le sol une silhouette en briques. Sa forme ressemble beaucoup à des zahones [1] étendus ou à une peau de taureau. Elle cherche à rappeler les autels tartessiens apparus dans différents temples, depuis celui de Cerro Alto à Coria del Rio jusqu’à celui d’El Carambolo. Sur ces simples structures d’argile, modelées à ras du sol, on immolait les viscères des taureaux sacrifiés dans les liturgies religieuses de l’ancien Thartessos. Notre autel, dont la forme reproduit assez fidèlement l’une des pièces du trésor d’El Carambolo, est faite de briques réfractaires et sa mission est de servir de support pour faire du feu. Car, même si peu d’habitants du village s’en souviennent, on allumait sur cette Place du Couvent un feu de joie à la Chandeleur et, il y a plus longtemps encore, comme partout, un feu de joie à la Saint Jean. Nous avons l’intention de faire tout notre possible pour récupérer à Villamanrique ces festivités, et cet espace est l’endroit idéal pour le faire.

Fuego

La peau de taureau

En tant qu’élément, le feu correspond également à un certain type d’aliment, celui qui provoque la combustion cellulaire, l’étincelle de la vie. Il s’agit d’une substance subtile qui remplit l’air, dont la connaissance par la science n’en est qu’à ses début et dont nous n’en dirons donc pas plus. Nous ajouterons seulement que les premiers chrétiens l’appelèrent la communion des saints et que c’est un élément essentiel dans le processus de la transformation alchimique de la rosée et dans la chute de la manne qui alimenta les Israélites dans le désert.

Si l’on pouvait isoler une personne de l’assimilation de cette substance, elle ne pourrait pas survivre plus de quelques secondes.

[1] NdT : Espèces de pantalon en cuir ou en tissu avec les jambes ouvertes arrivant à mi-mollet et qui se porte au-dessus des pantalons pour les protéger.

Remarque : En 2012, la mairie de Villamanrique de la Condesa aborda la rénovation complète de l’historique Plaza del Convento (place du Couvent) suivant l’idée originale présentée par l’Association Delta de Maya. Il s’agit d’un projet élu par les habitants du village qui décidèrent d’assister à la réunion du Conseil consultatif municipal à laquelle tous furent convoqués en février de cette année. (Cliquez ici si vous voulez connaître le processus de transformation de la place).