Ondes gravitationnelles

Les ondes gravitationnelles

Miguel Peiró, docteur en physique théorique de l’Université autonome de Madrid
Juin 2016

Le 14 septembre 2015 à 09:50:45 UTC, la Terre fut traversée par une perturbation de l’espace-temps connue sous le nom d’onde gravitationnelle, engendrée il y a environ 1,3 milliards d’années, avec une énergie proche de celle qu’irradient toutes les étoiles et galaxies de l’Univers observable. Pour la première fois, l’un de ces événements fut détecté par l’être humain. Une expérience comparable à celle de l’enfant nouveau-né qui ouvre les yeux pour la première fois et découvre devant lui d’innombrables mystères qui seront progressivement dévoilés au cours de sa vie.

Il y a environ 100 ans, Albert Einstein fut capable de décrire la gravitation d’une manière si brillante, élégante et géniale que nous sommes, aujourd’hui encore, toujours abasourdis par ses confirmations. Einstein décrivit la force de gravitation comme un effet, une conséquence des déformations du « tissu » spatio-temporel par la présence de l’énergie qui y est contenue. Jusqu’alors, on croyait que la gravitation, telle que la décrivit Sir Isaac Newton, était une force agissant à distance ou, en termes techniques, que toute masse engendrait un potentiel gravitationnel dans l’espace qui l’environnait. Pour mieux comprendre la différence qui existe entre les deux manières de concevoir cette force chez ces deux génies, permettez-moi de vous donner un exemple. Prenons la Terre et le Soleil. Nous savons que notre planète se trouve sous l’effet de la gravitation du Soleil, car elle réalise une orbite (elliptique dans ce cas) autour de celui-ci. Si nous pouvions faire disparaître le Soleil, la Terre suivrait automatiquement une ligne droite – si l’on négligeait les effets gravitationnels des autres planètes du système solaire –, tangente au point où elle se trouvait à ce moment-là. Et ici, nous trouverions la première différence importante entre la relativité générale d’Einstein et la loi de la gravitation universelle de Newton. D’après Einstein, la Terre tarderait environ 8 minutes à « noter » l’absence de gravitation produite par le Soleil, alors que, selon Newton, la Terre le remarquerait instantanément. La relativité générale interdit les actions immédiates à distance car, d’après cette théorie, rien ne peut se déplacer à une vitesse supérieure à celle de la lumière dans le vide. Mais pour en revenir à notre exemple, suivant la perspective de Newton, si nous voyions notre planète suivre cette trajectoire en ligne droite, nous dirions qu’elle n’est pas sous l’effet de la gravitation du Soleil. De sorte que les trajectoires, la dynamique des objets, permettent de déduire déduire les forces qui agissent sur eux. Eh bien, Einstein a donné à cela une vision complètement révolutionnaire.

La relativité générale nous dit que la géométrie de l’espace-temps est inexorablement soumise à l’énergie contenue dans celui-ci. Si nous appliquons une masse à n’importe quel point de l’espace-temps, celui-ci se déformera conformément aux propriétés de cette masse. Cette déformation provoquera la modification de la trajectoire de tout objet proche de cette masse conformément à cette déformation.

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T. Pyle/Caltech/MIT/LIGO Lab

Autrement dit, la courbure que nous voyons dans la trajectoire de la Terre autour du Soleil n’est rien d’autre que la conséquence de son déplacement dans un espace-temps déformé par la présence du Soleil. Bien que cette trajectoire soit courbe à notre yeux, elle n’est rien d’autre qu’une chute libre de la Terre vers le Soleil, comme lorsque nous laissons tomber un objet par terre, mais dans un espace-temps courbe. Einstein conféra à l’espace-temps une dynamique de changement qu’il n’avait pas auparavant, car celui-ci était, pour Newton, quelque chose d’absolu, d’immobile et d’immuable.

De nombreuses conséquences dérivent de cette théorie, depuis la courbure de la lumière en présence de la gravitation, en passant par les changements de temps existants entre des observateurs situés dans des intensités de champ gravitationnel différentes, jusqu’à l’existence de trous noirs.

Il fallut cependant attendre longtemps avant de comprendre un type de solution aux célèbres équations d’Einstein : les ondes gravitationnelles. Depuis que ce type de phénomène fut prédit par Einstein en 1916 (un an après la publication de la théorie de la relativité générale) jusqu’à la conférence Chapel Hill en 1957, il y eut un intense débat à propos de l’interprétation physique de ce type d’ondes. Les équations d’Einstein indiquaient que certaines configurations « asymétriques » de masses dans l’espace engendraient ce type d’ondes, tout en perdant de l’énergie en les produisant vu que les déformations de l’espace-temps qui les contenait étaient très changeantes. Les ondes de ce type sont comme des « étirements » et des « contractions » de l’espace-temps qui se déplacent à la vitesse de la lumière. Pour comprendre cela, imaginons que nous prenons une barre qui mesure exactement un mètre de long. Au passage d’une onde gravitationnelle, puisque l’espace lui-même change, la longueur de la barre changera également et ne sera pas la même avant et après le passage de l’onde. Mais comment détecter ces changements subis par l’espace-temps ?

Dans les années 70, on obtint de premiers résultats qui signalaient que les ondes gravitationnelles n’étaient pas qu’une simple curiosité mathématique, mais bien une réalité physique de la nature de notre Univers. Hulsar et Taylor découvrirent en effet un système binaire de pulsars [1], dans lequel, avec le temps, il fut confirmé que la perte d’énergie de ce système cadrait parfaitement avec l’émission d’ondes gravitationnelles [2]. Ce fut la première preuve indirecte du fait que les ondes gravitationnelles devaient exister et que, comme le prédisait la relativité générale, les systèmes binaires en rotation les produisaient. Il a fallu cependant attendre encore 40 ans avant de pouvoir les détecter directement.

Comment a-t-on pu les mesurer ?

L’expérience LIGO qui a détecté ces ondes se base sur un principe appelé interférométrie laser qui consiste à utiliser les franges d’interférence entre différents faisceaux lumineux [3]. Cette expérience utilise deux détecteurs différents situés à Hanford (Washington) et à Livinsgton (Louisiane) aux États-Unis.
Ces deux sites possèdent chacun deux tunnels de 4 kilomètres de long disposés en angle droit (perpendiculaires) dans lesquels circule un faisceau laser qui se reflète dans un miroir en arrivant au bout du tunnel et fait donc des aller-retour. En l’absence de signal, autrement dit quand on ne détecte rien, les lasers des deux tunnels sont déphasés de telle sorte que, lorsqu’ils reviennent après avoir rebondi sur leurs miroirs respectifs, l’interférence qui se produit entre eux au moment où ils se rencontrent est purement destructive, ils s’annulent donc l’un l’autre. Ainsi, quand il n’y a pas d’altération, les deux lasers s’annulent mutuellement et le détecteur du dispositif ne reçoit pas de lumière.

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Interféromètre Laser

Mais que se passe-t-il quand une onde gravitationnelle traverse ces dispositifs ? Imaginons une onde gravitationnelle qui se déplace perpendiculairement à un et un seul de ces tunnels. Comme nous l’avons expliqué ci-dessus, l’espace même se modifie et donc la taille du tunnel qui se trouve dans une position perpendiculaire par rapport à la direction du mouvement de l’onde se modifie également. Et c’est là qu’est l’astuce. Car lorsque la longueur parcourue par l’un des lasers est modifiée, l’interférence qui se produit quand il rencontre l’autre laser (qui parcourt quant à lui une distance qui n’a pas été modifiée par le passage de l’onde gravitationnelle) n’est plus parfaitement destructive, et nous pouvons ainsi observer une petite quantité de lumière sur le détecteur. C’est cette lumière presque imperceptible qui nous indique que l’onde gravitationnelle est passée.

Observer le passé pour déchiffrer le futur

Comme nous le disions au début de cet article, en septembre 2015, l’une de ces ondes traversa les deux dispositifs, avec une différence de temps d’environ 0,2 µs (0,0000002 secondes) entre la détection d’Hanford et celle de Livinsgton. Le passage de cette onde a produit une différence de longueur entre les deux tunnels de moins d’un dixième de millième du rayon du proton ou, pour donner un ordre de grandeur, plus petite que la taille d’un ballon de football comparé à la taille de notre galaxie. L’analyse postérieure du signal détecté a révélé que très probablement cette onde avait été produite par la rencontre de deux trous noirs d’une masse d’environ 30 fois la masse du Soleil s’approchant à des vitesses proches de la lumière jusqu’à se fondre en un seul trou noir qui déforma tellement l’espace-temps autour de lui qu’il libéra cette onde puissante [4]. Ce qui peut sembler encore plus impressionnant c’est que cet événement a eu lieu il y a 1,3 milliards d’années, bien avant que les premiers dinosaures ne commencent à peupler notre planète, et qu’il a depuis voyagé à travers l’espace pour arriver jusqu’à nous aujourd’hui.

Mais ce n’est pas un événement isolé et l’on peut dire que l’être humain a vraiment commencé à explorer le mystère de la gravitation. En effet, le 26 décembre 2015, on a de nouveau détecté une onde gravitationnelle qui a traversé la Terre [5]. En quatre mois, la collaboration LIGO a été capable de détecter deux ondes gravitationnelles, ce qui laisse entrevoir des temps passionnants à venir dans le monde de la cosmologie. Ce deuxième événement correspondrait en outre, avec un degré élevé de probabilité, à la collision de deux trous noirs nettement moins massifs que ceux qui produisirent le premier signal, mais curieusement l’un d’eux tournerait en rotation sur lui-même à une vitesse extrêmement élevée (probablement après avoir aspiré préalablement une étoile). Ce deuxième événement serait encore plus ancien que le premier, il aurait eu lieu il y a environ 1,4 milliards d’années. Il proviendrait par ailleurs d’une région du ciel tout à fait différente.

Ces découvertes marquent un avant et un après dans l’histoire de la science, et de l’évolution de l’être humain. Désormais, nous pouvons voir ce qui était autrefois était invisible, à nos yeux bien sûr, mais aussi et surtout à nos dispositifs. Un monde de possibilités et de mystères s’ouvre à nous qui lèvera progressivement le voile sur nouvelles inconnues et peut-être même changera notre conception du cosmos et des forces qui le constituent. En cette nouvelle ère de l’astronomie des ondes gravitationnelles, nous espérons découvrir de nombreux faits étonnants (par exemple, « écouter » le Big Bang), mais le plus extraordinaire peut-être, c’est que nous ne savons pas ce que nous allons découvrir, car c’est un autre Univers qui s’offre à nous maintenant et il nous réserve probablement bien des surprises. Nous avons ouvert une nouvelle fenêtre sur l’inconnu et nous sommes devant une aventure aux proportions inimaginables. Pourvu que nous soyons capables de ne pas interposer nos préjugés devant l’avalanche de données qui ne manquera pas de se produire à partir d’aujourd’hui.

Images avec l’aimable autorisation de Caltech/MIT/LIGO laboratory et Kira Oriola.

[1] R. A. Hulse and J. H. Taylor, Astrophys. J. 195, L51(1975).

[2] J. H. Taylor and J. M. Weisberg, Astrophys. J. 253, 908(1982).

[3] B. P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration), Rep. Prog. Phys. 72, 076901 (2009).

[4] [4] B. P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration), Phys. Rev. Lett.116, 061102 (2016).

[5] [5] B. P. Abbott et al. (LIGO Scientific Collaboration and Virgo Collaboration), Phys. Rev. Lett.116, 241103 (2016).

Note de l’éditeur : Il nous semble intéressant d’associer à cet article deux links de vidéos illustratives.

  1. Les ondes gravitationnelles converties en ondes sonores :
    https://www.ligo.caltech.edu/video/ligo20160211v2
  1. Schéma fonctionnel de l’interféromètre laser :
    https://www.ligo.caltech.edu/video/ligo20160211v6